L’Europe face aux défis sociaux du numérique
Synthèse: L’Europe face aux défis sociaux du numérique
A l’heure où les transformations numériques bousculent un grand nombre de nos concitoyens, l’Europe peut-elle devenir enfin un vecteur de justice et de protection sociales ?
Conçue historiquement comme un projet d’émancipation des Européens, l’UE est à l’inverse de plus en plus perçue comme un moteur d’évolutions qui, loin de protéger les travailleurs, nourrissent au contraire leur insécurité sociale et économique.
Cette situation n’a pourtant rien d’une fatalité. Les tendances de fond qui touchent les citoyens de l’Union (évolutions de l’emploi vers plus de flexibilité voire de précarité, disruptions technologiques, inégalités et polarisation croissantes entre territoires et entre travailleurs….) concernent tous les Etats et appellent des actions à l’échelle européenne. Et de fait l’UE dispose de leviers d’action potentiellement puissants, bien que peu utilisés.
Dans ce contexte, il est essentiel, voire vital, de réaffirmer la nature indissociablement sociale et économique du projet européen, condition nécessaire pour que les citoyens y adhèrent à nouveau. Pour y parvenir, il convient d’établir un véritable programme d’action, concret et opérationnel.
Celui-ci doit reposer sur une ambition fondamentale : mettre l’Europe au service du pouvoir d’agir et de l’autonomie pour donner un avenir à chaque Européen. Il s’agit de développer les capacités et les compétences des personnes peu qualifiées ou en risque de déqualification, et permettre à chaque membre de la prochaine génération d’être suffisamment « armé » pour trouver sa place dans l’économie et la société numériques.
Cette ambition répond à un triple impératif économique, social et politique. Un impératif économique pour renforcer la compétitivité de nos entreprises, via une main-d’œuvre qualifiée. Un impératif social pour garantir à chacun l’employabilité lui permettant de trouver sa place dans l’économie numérique. Un impératif politique, à l’heure où l’aggravation des inégalités et du sentiment d’insécurité économique nourrit les populismes, pour lutter contre les inégalités, rassurer nos concitoyens sur leur avenir et renforcer notre cohésion sociale.
Ce programme d’action pourrait s’articuler autour de trois priorités majeures : (1) promouvoir la régulation du droit du travail au service de la justice sociale, (2) investir dans les capacités et les compétences au service de l’employabilité de chaque Européen et (3) ancrer le pouvoir d’agir dans les territoires.
(1) Tout d’abord, l’Europe doit pouvoir développer les protections des travailleurs touchés par les évolutions numériques, celles existantes dans chaque pays n’étant pas adaptées aux nouvelles formes de travail émergentes, comme celles des plateformes d’intermédiation de type Uber ou Deliveroo. Appliquons ainsi les principes fixés par la charte des droits sociaux fondamentaux, qui doivent être intégrés dans le socle juridique de l’Union et enrichis par une doctrine sociale permettront à la Cour de justice de l’UE de développer sa jurisprudence sociale. Un compte personnel d’activité pourrait aussi être mis en place à l’échelle européenne -et des Etats-membres-, devenant un instrument privilégié d’action coordonnée des échelons nationaux et européen en matière de droits sociaux et de portabilité de ces droits, pour faciliter les parcours professionnels et la mobilité des travailleurs européens. Une assurance chômage européenne, en complément des assurances nationales, notamment en cas de récession, enverrait par ailleurs en effet le signal politique fort et très tangible sur la capacité de l’UE à apporter des nouveaux droits aux travailleurs et à contribuer aux mécanismes de solidarité en Europe (sans induire de transferts permanents entre Etats).
(2) Ensuite l’Europe pourrait lancer un “Fonds européen d’investissement social” destiné à des projets d’investissement social financièrement viables et financé par l’émission d’obligations sociales européennes. L’enjeu est de développer les capacités et les compétences de chaque Européen dans une perspective d’encapacitation, d’employabilité et d’autonomie dans son parcours professionnel et de vie. C’est le cas par exemple pour les dispositifs d’accueil de la petite enfance et d’apprentissages précoces, qui sont l’un des moyens les plus efficaces de lutte contre les inégalités. Ou dans le champ du handicap, pour relever les défis de la société inclusive (transformation des institutions, scolarisation, emploi inclusif, etc), dans celui de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ou encore dans l’accompagnement des professions vers la transition numérique.
(3) Enfin l’Europe pourrait mettre le numérique au service de nouvelles formes de démocratie économiques et sociales et redonner aux citoyens européens du pouvoir d’agir au niveau des territoires. Il s’agit par exemple d’ouvrir aux acteurs territoriaux les données d’intérêt général des acteurs du numériques pour développer des services de proximité pour les citoyens. Ou encore de développer des négociations sociales à l’échelle des territoires, pour y embarquer, au-delà du tête-à-tête entre les salariés et leur entreprise, tout le tissu économique d’un territoire. Ou enfin de renouveler le projet mutualiste, en commençant par l’adoption d’un statut européen des mutuelles, pour permettre aux citoyens de participer à la gestion des biens communs, notamment environnementaux.
Ces axes d’action concrets pour l’Europe montrent combien le numérique, avec tous les défis sociaux qu’il pose aux citoyens de l’Union, est peut-être aussi le bon levier pour que l’Union économique et monétaire devienne aussi une véritable Union sociale.